samedi, juin 14, 2008

Premier avis sur le livre d'analyse économique du droit (I)

Notre collègue Ejan MacKaay nous fait connaître le bilan dressé par le professeur Christian Atias (bilan à paraître dans le n°2008-2 de la Revue de la Recherche Juridique) relativement au livre d'analyse économique du droit corédigé avec le professeur Stéphane Rousseau.
L'importance de cet ouvrage n'échappera à personne. Les grandes notions du droit patrimonial y sont passées en revue: la propriété (p. 206 et 256), la propriété intellectuelle (p. 264), la responsabilité extracontractuelle (p. 326), le contrat (p. 361), mais aussi l'entreprise (p. 455), les sociétés (p. 482). Et il ne s'agit pas seulement d'en présenter une théorie. Les questions particulières qu'abordent ordinairement les ouvrages juridiques sont examinées : à propos du contrat par exemple, le lecteur retrouve l'offre et l'acceptation, les différents vices du consentement, le contrat d'adhésion, la cause, l'ordre public, la bonne foi, ... ou encore le mandat. Leur étude est précédée notamment par celle du marché et de l'Etat; par là, nos divisions habituelles sont heureusement dépassées.
L'intérêt de ce traité de grande ampleur, fondé sur une documentation particulièrement riche (91 pages de bibliographie), est de mettre à la disposition des francophones une présentation complète et détaillée de l'analyse économique du droit, en faisant état des différentes propositions et conceptions qui animent la réflexion dans ce domaine. Ce sont les analyses économiques du droit qui sont ici campées. Les juristes français n'auront plus la mauvaise excuse de la barrière linguistique - la plupart des publications étant en langue anglaise - pour ignorer les innombrables travaux auxquels elle a donné lieu.
Ils auront peut-être d'autres obstacles à franchir. Le droit qui leur est présenté, même à propos des notions et principes les plus habituels, ne ressemble pas à celui qu'ils croyaient connaître. Il est envisagé sous un jour différent. L'ampleur et la clarté de l'ouvrage donneront de nouvelles occasions d'essayer de mesurer le renouvellement qu'apporte, à la pensée juridique, l'analyse économique du droit.
Ce serait la trahir et la dénaturer que d'y voir une reprise critique de la théorie du droit à la lumière des enseignements de l'économie. La guerre des disciplines n'aura pas lieu (voir n. 54 et 55, p. 15) ; si ce traité fournit, au lecteur non prévenu, les bases d'une indispensable « culture économique », ses deux auteurs sont des juristes et leur oeuvre relève de la « culture juridique ». C'est en juristes notamment qu'ils introduisent des concepts inédits en droits, celui d'opportunisme en particulier (n. 460, p. 126 ; n. 739, p. 200 ; n. 1338, p. 374 ; n. 1355, p. 379 ; n. 1482, p. 409 ; n. 1650, p. 447), pour tenir l'obligation civile à l'abri de la règle morale.
L'analyse économique du droit est « une méthode qui emprunte des concepts de l'économie pour mieux comprendre le droit» (p. XXI ; n. 667, p. 179 ; n. 2121, p. 591 et s.). Comme méthode, elle s'efforce de « venir au plus près» d'un objet qu'elle se donne: de quel droit, de quel aspect ou dimension du droit, est-il question? Les juristes français contemporains s'y retrouvent aisément. Non seulement, ils sont en terrain connu puisqu'ils voient défiler les qualifications dont ils usent quotidiennement; mais ils sont mis à l'aise par la présentation de décisions de justice importantes. Plus généralement, le droit étudié est décrit comme un ensemble de règles (n. 119, p. 32), voire de règles de conduite (n. 225, p. 62), comme « un répertoire de pratiques et d'institutions de régulation» (n. 1294, p. 362). Les droits individuels sont au cœur du débat (voir, par exemple, n. 38, p. 11). Le rôle des règles de droit comme instruments de simplification des rapports sociaux est mis en avant (n. 105, p. 29 ; n. 126, p. 33 ; n. 133, p. 35).
S'il fallait s'arrêter là, ce traité d'analyse économique du droit serait à ranger parmi les ouvrages de droit positif. Il se signalerait seulement par l'originalité des questions qu'il pose et des éléments de réponse qu'il donne. La méthode proposée serait complémentaire (p. XXI) d'autres méthodes plus traditionnelles. L'introduction de l'individualisme méthodologique (n. 143, p. 37) dans l'étude du droit l'enrichit notablement. Elle permet d'analyser les effets sociaux des règles de droit, de les éclairer pour tenter de comprendre comment elles peuvent « produire une situation sociale souhaitée » (pour un exemple, voir l'interprétation donnée à l'art. 716 C. civ. : n. 904, p. 245) et, peut-être, éviter d'être assorties d'effets non escomptés, pervers ou secondaires (n. 2, p. 2 ; n. 15, p. 5 ; n. 1494, p. 412). La méthode repose sur le « postulat du choix rationnel» auquel se livrent les acteurs, citoyens, sujets de droit (n. 63, p. 19; n. 98, p. 27), lorsqu'ils se portent acquéreurs, s'engagent, gèrent leurs biens, font face à leurs obligations. Elle progresse donc « à partir d'une conception de l'être humain et de ses rapports avec les autres » (n. 21, p.6)
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A la prochaine ...

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