samedi, juin 14, 2008

Premier avis sur le livre d'analyse économique du droit (II)

(...) Un pas de plus est accompli, lorsqu'elle s'enquiert de « la raison d'être des institutions juridiques. Elle postule qu'elles exhibent une rationalité sous-jacente uniforme» (n. 22, p. 6), dans l'espoir de déceler et de dévoiler une « logique» du droit (p. XXI; n. 22, p. 7). Car l'ambition est là : c'est un « ordre sous-jacent» qui apparaît (n. 22, p. 7). La réalité sociale répond aux choix et décisions du législateur et du juge. L'adoption de certaines solutions entrave les relations, freine le développement économique; plus généralement, leurs coûts divers ne peuvent être négligés. L'analyse économique du droit déporte l'attention, du contenu des règles et du raisonnement qu'elles paraissent imposer dans la détermination des solutions de droit, à leur incidence. C'est la qualité des règles qui est mise à l'épreuve, vérifiée, éprouvée. La méthode est donc normative (n. 114, p. 31). Elle ne décrit pas une « logique » des règles instituées qui ont été adoptées progressivement à la lumière de traditions plus ou moins explicites, et parfois en considération des circonstances du moment, des réclamations de certains groupes, des préoccupations électorales. L'analyse économique du droit dévoile la « logique» qui devrait inspirer le législateur s'il voulait favoriser certains comportements, certains résultats. Elle révèle ainsi l'illogisme de certains choix législatifs qui produiront selon toute vraisemblance des effets inverses de ceux que leurs promoteurs prétendent rechercher; elle peut ainsi les contraindre à reconnaître soit leurs erreurs, soit leurs objectifs véritables. La « raison d'être» des règles, à laquelle elle fait volontiers référence (n. 22, p. 6 ; n. 668, p. 179), est tout à fait distincte de cette « ratio legis » qui guide traditionnellement l'interprétation. L'harmonisation des deux et l'articulation de l'une sur l'autre font difficulté. L'analyse économique du droit fournit, par exemple, des données pour déterminer « le rôle qui incombe aux parties et celui qui appartient au droit dans la formulation du contrat» (n. 1346, p. 376), pour décider ou non de prévenir les difficultés (n. 1292 et 1293, p. 362 ; n. 1337, p. 373), de favoriser la conclusion des contrats (n. 1304, p. 365). Elle tend même à poser les critères de la décision législative ou judiciaire d'avoir recours à une « intervention correctrice» des rapports sociaux, des comportements constatés (n. 1305, p. 365 ; n. 1333, p. 373). Dans le domaine contractuel, « la règle législative - et d'ailleurs judiciaire également - se justifie si elle réduit le coût du contrat en dessous de ce que les parties elles-mêmes auraient pu atteindre» (n. 1344, p. 375). Comment se déprendre d'un rêve : que nos réformateurs lisent le traité de Messieurs les Professeurs MACKAAY et ROUSSEAU, et en viennent à se poser quelques questions sur la qualité de leur travail. Une méthode juridique n'est pas une philosophie du droit. Aucune méthode juridique ne peut être indépendante d'une philosophie du droit. Celle qui porte l'analyse économique du droit et l'innerve de part en part est apparente; elle ne peut troubler les juristes français contemporains. Elle est issue de l'idéologie des Lumières (n. 23, p. 7). C'est pourquoi, elle raisonne sur des droits individuels et privilégie les règles qui sont censées les définir, après les avoir institués. C'est encore pourquoi elle privilégie les valeurs dont la subjectivité est d'ailleurs reconnue (n. 40, p. 11 ; n. 99, p. 27 ; n. 1295, p. 363). Les fondements recherchés sont de même inspiration (n. 37, p. 10; n. 62, p. 19; n. 766, p. 208; n. 1177, p. 332 ; n. 1296, p. 363). Le juste est ici hors de cause, comme l'être humain qu'observaient Aristote et Thomas d'Aquin; l'ordre à analyser ne se découvre pas dans la nature humaine. Lorsque la justice est évoquée, c'est en tant que « sens intuitif ... du juriste» (n. 904, p. 245). Il pourrait sembler que l'objectif poursuivi par l'analyse économique du droit exclut, par lui-même, et condamne la référence au droit naturel. Rien n'est moins sûr; les liens qu'elle entretient historiquement avec le positivisme et avec le jus-naturalisme ne sont peut-être pas exclusifs. Au second, appartient sans doute la conviction qu'il est possible de manipuler les comportements humains, d'encourager, de corriger, de dissuader, d'inciter. Nos révolutionnaires et les idéologues auraient apprécié l'idée que « la règle accordant la moitie du trésor » au propriétaire et à l'inventeur tente de les « intéresser » l'un et l'autre « à la mise en circulation » (n. 904, p. 245 ; comparer n. 1492, p. 411) et que cette considération relevant de l'analyse économique du droit peut « soutenir le jugement intuitif » ; aucune attribution juste ne serait donc propre à fonder la règle. Elle pourrait pourtant être recherchée pour elle-même. Les comportements sociaux, notamment lorsqu’ils répondent aux sollicitations de la règle, sont dans la nature. Ils ne sont pas pour autant tous équivalents; ils ne sont pas nécessairement de nature.

A la prochaine ...

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