mercredi, février 28, 2007

Théories contractuelles de la firme : Théorie des coûts de transaction

Théorie des coûts de transaction

α - Exposé de la théorie : « A firm (…) consists of the system of relationships which comes into existence when the direction of resources is dependent on an entrepreneur »[1]

S’interrogeant en 1937 sur les raisons d’être de la firme, Coase démontre que ce sont les coûts élevés encourus par les individus afin d’assurer la coordination commune ou la production coopérative dans un marché qui fondent la firme. « The main reason why it is profitable to establish a firm would seem to be that there is a cost of using the price mechanism »[2]. Pour Coase, le processus d’échange est complexe et génère des coûts (coûts de transaction) qui doivent être pris en compte par l’entrepreneur pour organiser ses activités de production. Ainsi, les coûts de transaction liés à la découverte de prix adéquats, à la négociation et à la conclusion de contrats séparés pour chaque transaction, à la création et au maintien d’ententes contractuels à long terme sont substantiels. Ces coûts peuvent être réduits par la création d’une firme, au sein de laquelle des relations hiérarchiques d’autorité remplacent le marché comme moyen de coordonner l’activité de production commune. « Outside the firm, price movements direct production, which is co-ordinated through a series of exchange transactions on the market. Within a firm, these market transactions are eliminated and in place of the complicated market structure with exchange transactions is substituted the entrepreneur-co-ordinator, who directs production »[3]. Les décideurs de la firme doivent agir pour minimiser les coûts de fonctionnement, cette minimisation étant la garantie de l’efficacité économique globale.
Dans cette perspective, l’entreprise constitue un mode d’organisation des ressources qui peut supplanter le marché en minimisant les coûts de transaction par le biais du pouvoir d’autorité de l’entrepreneur. Par conséquent, « (…) le but de la firme est de permettre aux individus qui possèdent des actifs économiques de tirer pleinement avantage de la production commune. Tous les groupes de parties prenantes bénéficient ainsi de la production au sein de la firme (…). Une firme sert les intérêts de tous les participants essentiellement de la même manière que le marché »[4].

S’appuyant sur les travaux de Coase, le professeur Williamson les complète. Cet auteur met en lumière l’importance de la spécificité des actifs et tente de réduire les coûts engendrés par la rationalité et l’opportunisme[5]. Pour la rationalité, Williamson l’introduit et constate que les individus ont des capacités et des connaissances individuelles limitées. De ce fait, l’incomplétude des contrats est inévitable et l’étude du déroulement ex post d’une relation contractuelle prend une grande importance. Le phénomène de rationalité acquiert une dimension particulière dans la mesure où les individus ne sont pas fiables. L’opportunisme revient à considérer les hommes comme ils sont (ceux-ci sont prêts à utiliser tous les moyens, de bonne ou de mauvaise foi, pour réaliser des gains au-delà des profits résultant des termes de l’échange) et comprend une sélection adverse (opportunisme ex ante) et un risque moral (opportunisme ex post). Cet opportunisme dépend de plusieurs facteurs : fréquence des transactions, intensité des transactions et spécificité des actifs. Relativement à ce dernier point qui occupe une place prépondérante dans la littérature de Williamson, la spécificité d’un actif est entendue comme la possibilité de redéployer celui-ci, c’est-à-dire, sa difficile substitution par un autre. Par rapport à cette description, Williamson expose les modes de coordination de la production les plus efficaces pour diminuer les coûts engendrés par la rationalité et l’opportunisme.

Williamson arrive à la conclusion que l’entreprise est un mécanisme de gouvernance hiérarchique institué par l’intermédiaire de contrats personnalisés qui permettent de tenir compte des particularités des transactions. « L’avantage supposé de la firme est de réduire l’incertitude grâce à un réseau structuré de communication et son système hiérarchisé de prise de décision. L’incertitude ainsi repoussée grâce à l’ordre et à la hiérarchie, la rationalité de l’individu s’en trouve élargie »[7].

β - Apports de la théorie des coûts de transaction : Au-delà d’un bilan empirique plus que favorable[8], la théorie des coûts de transaction a proposé une lecture nouvelle de l’entreprise et ce, sur plusieurs points. Tout d’abord, l’entreprise devient une forme d’organisation alternative au marché. Ainsi, pour Coase, l’entreprise peut supplanter le marché et la taille de la firme va s’accroître d’autant que le coût d’une transaction supplémentaire sera supérieur au coût marginal résultant d’un accroissement de l’activité au sein de l’entreprise[9]. Ensuite, l’existence de coûts de transaction est reconnue. Par ailleurs, cette vision consacre plusieurs formes distinctes de coordination qui ne se limitent pas au marché et à la firme. Enfin, alors que la conception de la firme défendue par Coase est une vision hiérarchique (l’accent est mis sur la fonction d’autorité et de hiérarchie), Williamson a une lecture plus ouverte et propose une alternative.

γ - Critiques de la théorie des coûts de transaction : Une série de critiques peut être évoquée. En premier lieu, la théorie des coûts de transaction conduit à une conception de la firme qui ne donne pas de statut spécifique ni de position centrale au contrat de travail et au rapport salarial[10]. En deuxième lieu, certains auteurs soutiennent que l’hypothèse de rationalité limitée n’est pas exploitée[11]. A contrario, pour d’aucun, le rôle de l’opportunisme est surestimé[12] : la conception de l’individu est régressive[13], l’étendue des comportements managériaux n’est pas totalement appréhendée[14]. En troisième lieu, « la théorie des coûts de transaction reste, en ce sens, fondamentalement statique. Elle ne peut pas expliquer les relations dynamiques technologiques et changements institutionnels »[15]. En quatrième lieu, Granovetter[16], Goshal et Moran[17] démontrent la dangerosité et la fausseté des prescriptions de l’économie des coûts de transaction qui confond inclinaison et opportunisme comme manifestation comportementale.

[1] R. H. Coase, « The Theory of the Firm », Economica, November 1937, p.386, spéc. p.393.
[2] R. H. Coase, art. préc., p.390.
[3] R. H. Coase, art. préc., p.388.
[4] J. Boatright, « Quel avenir pour la gestion des parties prenantes ? », Les ateliers de l’éthique, Printemps 2006, Vol. 1, n°1, p.42, spéc. p.46.
[5] O. E. Williamson, « The Economic Institutions of Capitalism », New York : Free Press, 1985 ; O. E. Williamson, « Markets and Hierarchies », New York : Free Press, 1975 ; O. E. Williamson, « Transaction-cost economics : The governance of contractual relations », The Journal of Law and Economics, 1979, p.233, spéc. p.247.
[7] P. Joffre, « L’économie des coûts de transaction », dans De nouvelles théories pour gérer l’entreprise, Paris, Economica, 1999, p.143, spéc. p.150 et s.
[8] P. Joffre, art. préc., p.160.
[9] R. H. Coase, art. préc., p.394 et s.
[10] B. Coriat et O. Weinstein, « Les nouvelles théories de l’entreprise », Livre de poche, 1995, spéc. p.72.
[11] B. Coriat et O. Weinstein, op. cit., p.74.
[12] C. Perrow, « Complex Organizations : a critical essay », 3ème éd., New York, Random House, 1986.
[13] L. Donaldson, « American anti-management theories of organization », Cambridge University Press, 1995, spéc. p.166.
[14] L. Donaldson, op. cit., p.166 ; C. W. L. Hill, « Cooperation, opportunism and the invisible hand : implications for transaction cost theory », Academy of Management Review, 1990, Vol. 15, p.500, spéc. p.512.
[15] B. Coriat et O. Weinstein, op. cit., p.75 ; A. Bienaymé, « Principes de concurrence », Paris, Economica, 1998.
[16] M. Granovetter, « Economic action and social structure : the problem of Embeddeness », American Journal of Sociology, novembre 1985.
[17] S. Ghoshal and P. Moran, « Bad for practice : a critique of the transaction cost theory », Academy of Management Review, 1996, Vol. 21, n°1, p.13.

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