jeudi, janvier 15, 2015

Proxy Access: la réflexion s'intensifie au Canada

Depuis plusieurs années, le mode d'élection des administrateurs fait l'objet de critiques et de propositions de réformes aux États-Unis et au Canada. Ainsi, nous avons vu apparaître le Majority Voting comme pratique "exemplaire" aux États-Unis. Au Canada, la Bourse de Toronto a rendu le Majority Voting obligatoire l'année dernière par une modification à son Manuel des sociétés inscrites

En parallèle, le Proxy Access a été mis de l'avant comme un autre moyen de pallier les lacunes du régime d'élection des administrateurs aux États-Unis. Le concept du Proxy Access n'est pas nouveau, pouvant être retracé dès les années 1980 (voir ici). Essentiellement, le Proxy Access a pour objectif de permettre aux actionnaires d'inclure leurs candidats à l'élection des administrateurs sur le formulaire de procuration transmis par la société à tous les porteurs. 

En 2010, la Securities and Exchange Commission a adopté une règle instituant le Proxy Access. Selon la règle qu'avait proposée la SEC, un actionnaire aurait pu avoir ainsi accès au formulaire de procuration à condition d'avoir détenu au moins 3% des titres de la société pendant au moins trois ans. Cette règle a été invalidée par une décision judiciaire. Néanmoins, le Proxy Access fait l'objet de proposition d'actionnaires en raison de la modification d'une autre règle de la SEC qui a permis que l'adoption de ce mécanisme soit proposé lors des assemblées d'actionnaires (le "private ordering"). 

La réflexion sur le Proxy Access s'amorce maintenant au Canada. L'année dernière, le document de consultation sur la Loi canadienne sur les sociétés par actions y faisait référence. Il y a quelques mois, Richard Leblanc a présenté le Proxy Access comme le "Corporate Governance Game Changer That Needs to Come to Canada". Récemment, le Centre for the Legal Profession de l'Université de Toronto a annoncé la tenue d'une table-ronde le 29 janvier prochain sur le thème du Proxy Access (ici). 

Mais avons-nous besoin d'un régime de Proxy Access au Canada, au regard des règles du droit des sociétés et du droit des valeurs mobilières? Ce matin, dans le Report on Business, Adryan Myers semble répondre par la négative dans un texte intitulé What Canadian shareholders can do that Americans can’t. Essentiellement, il fait valoir que le régime de la proposition d'actionnaires permet aux actionnaires des sociétés canadiennes de présenter des candidats à l'élection dans la documentation transmise aux actionnaires, conférant ainsi l'équivalent du Proxy Access. Cette opinion a aussi été véhiculée par la professeure Lisa Fairfax (ici).

Sans vouloir statuer sur l'ensemble des enjeux de gouvernance associer au Proxy Access, il m'apparaît important de faire ressortir les limites du régime de la proposition pour nuancer la position de Myers. À mon sens, nous n'avons pas un Proxy Access au Canada, comme l'avait d'ailleurs souligné Stephen Erlichman de la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance (ici). Trois limites du régime sont notables et distinguent le régime actuel du Proxy Access, tel qu'entendu. Premièrement, l'actionnaire qui formule une proposition de candidats doit, seul ou avec d'autres, détenir au moins 5% des titres de la société pouvant être votés à l'assemblée. Deuxièmement, l'actionnaire n'est pas dispensé des règles régissant la sollicitation de procurations. À moins de ne pas solliciter d'actionnaires ou de le faire selon une des exceptions prévues, l'actionnaire devra préparer une circulaire de dissident, ce qui est coûteux. Enfin, compte tenu des délais, la décision de présenter des candidats selon ce mécanisme doit être prise de 4 à 6 mois avant la tenue de l'assemblée, ce qui complique grandement la stratégie. Comme nous pouvons le constater, il existe des différences importantes entre le Proxy Access et le régime de la proposition. De fait, ce régime a été rarement utilisé à ma connaissance pour présenter des candidats à l'élection au conseil.

En somme, la discussion au Canada sur le Proxy Access devrait s'effectuer en tenant pour acquis que les actionnaires ne disposent pas actuellement d'un véritable mécanisme pour présenter leurs candidats dans la documentation transmise par le conseil. Il s'agit donc de déterminer s'il est opportun d'offrir un mécanisme de Proxy Access aux actionnaires des sociétés canadiennes. 


Par Stéphane Rousseau, Professeur titulaire de la Chaire en gouvernance et droit des affaires, Université de Montréal

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