mercredi, février 28, 2007

Théories contractuelles de la firme : Théorie des droits de propriété

Théorie des droits de propriété

α - Exposé de la théorie des droits de propriété : Le point de départ de la théorie des droits de propriété consiste à considérer que tout échange entre agents peut être considérée comme un échange de droits de propriété sur des objets. Un droit de propriété est alors défini comme un droit assigné à un individu spécifié et aliénable par l’échange contre des droits similaires sur d’autres biens. Deux caractéristiques sont essentielles pour que la propriété soit efficace : l’exclusivité et la transférabilité. Appliqué à la firme, la théorie des droits de propriété permet de concevoir l’entreprise comme un ensemble de contrats qui établissent une certaines structure des droits de propriété[31].

La théorie des droits de propriété a été développée par le professeur Hart[32] et préalablement entrevue par Alchian et Demsetz[33]. A la différence des autres théories de la firme, l’identification de la réponse aux contrats incomplets est vue au travers de l’attribution des droits de propriété[34].

Pour les tenants de cette théorie de l’entreprise, la gouvernance des relations contractuelles dépend de l’attribution des droits de propriété. La logique est la suivante : le titulaire d’un droit de propriété conservant le contrôle résiduel d’un bien, il doit pouvoir résoudre les différends qui résultent de l’incomplétude des contrats.

Dès 1972, Alchian et Demsetz – caractérisant l’entreprise à travers le travail en équipe, la variété des ressources appartenant à différents propriétaires et la présence d’un agent central qui est le créancier résiduel et qui peut réviser les contrats individuels – font renvoi aux notions d’exclusivité et de transférabilité qui permettent de résoudre les problèmes d’information incomplète et le risque morale d’une production en équipe. Face aux critiques de cette théorie dans le cas de la firme managériale, les tenants de cette théorie indiquent que tant que les actionnaires continuent de supporter les changements imprévus de valeur des biens et actifs de la firme (c’est-à-dire supportent les pertes et retirent les profits) et de pouvoir échanger les actions de la firme sur un marché ouvert, ils présentent les caractéristiques et les motivations d’un propriétaire. Ils sont propriétaires et le fait qu’ils puissent autoriser l’usage de leurs ressources comme elles l’ont été n’a aucune conséquence, la propriété dispersée est simplement un genre d’arrangement contractuel possible dans un système de droits de propriété privée[35]. Pour Alchian[36], l’entreprise exploite la possibilité de partitionner et d’aliéner les droits de manière à permettre une spécialisation entre ceux qui exercent le droit de prendre des décisions sur les usages des ressources et ceux qui en supportent les conséquences sur les valeurs de marché ou d’échange. Dans un sens identique, Hart relève que l’entreprise tend à une diminution des coûts de transaction qui résultent des contrats incomplets en concentrant la propriété des actifs affectés à la production au sein d’une unité. Cette concentration confère alors à l’entreprise une autorité sur ces ressources. L’entreprise détient finalement un pouvoir de contrôle qui lui permet de combler les lacunes des contrats et d’empêcher les comportements opportunistes. C’est la propriété sur des actifs tangibles qui permet d’identifier la propriété.

Au regard de l’évolution contemporaine consacrant une émergence d’une économie fondée sur le savoir, certains auteurs tels Rajan ou Zingalens[37] généralisent cette théorie. Ils proposent ainsi d’élargir cette conception de l’entreprise reposant sur les droits de propriété pour faire place à une source de pouvoir s’appuyant sur le contrôle de l’accès, c’est-à-dire, sur la possibilité d’utiliser une ressource fondamentale (opérer sur une machine, exposition aux détails d’une idée ou pouvoir de travailler pour une personne).

β - Apports de la théorie des droits de propriété : L’apport central de cette théorie est de tracer les frontières de l’entreprise de manière assez nette. La propriété des actifs tangibles détermine l’entreprise.

γ - Critiques de la théorie des droits de propriété : L’une des critiques majeures faite à la théorie des droits de propriété est la faiblesse des validations empiriques[38]. En outre, si la définition des droits de propriété repose sur l’existence de relations contractuelles libres qui conduisent au choix le plus efficient, tout n’est que relation contractuelle. En d’autres termes, l’analyse des rapports de discipline, de pouvoir entre les différents acteurs de l’entreprise n’est pas faite[39]. De plus, dans le cas de la firme managériale dont la grande société anonyme est l’illustration, la doctrine dénonce le fait que la dilution du capitale entre un grand nombre d’actionnaires, source d’une augmentation des coûts de contrôle, donne une marge de manœuvre importante au dirigeant pour maximiser son utilité ce qui conduit à une atténuation des droits de propriété.

[31] Par exemple : M. Ricketts, « The Economics of Business Enterprise », Wheatsheaf Books, Brighton, 1987.
[32] O. Hart et J. Moore, « Property Rights and the Nature of the Firm », Journal of Political Economic, 1990, Vol. 98, p.1119 ; O. Hart, « An Economist’s Perspective on the Theory of the Firm », Columbia Law Review, 1989, Vol. 89, p.1757 spéc. p.1764, note 74.
[33] A. A. Alchian and H. Demsetz, art. préc.
[34] O. Hart, « Firms, Contracts and Financial Structure », Oxford, Clarendon Press, 1995, spéc. p.30.
[35] L. De Alessi, « Private Property and Dispersion of Ownership in Large Corporations », Journal of Finance, 1973, Vol. 28, p.844.
[36] A. A. Alchian and S. Woodward, « The Firm is Dead ; Long Live in the Firm. A Review of Oliver E. Williamson’s The Economic Institution of Capitalism », Journal of Economic Literature, 1988, Vol. 26, p.76.
[37] R. G. Rajan and L. Zingalens, « The Governance of the New Enterprise », in Corporate Governance – Theorical & Empirical Perspectives, sous la direction de X. Vivès, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, spéc. p.101; R. G. Rajan and L. Zingalens, « Power in a Theory in the Firm », University of Chicago, 1996, http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2091.
[38] A. Couret, « La théorie des droits de propriété », dans De nouvelles théories pour gérer l’entreprise, Economica, 1987, p.60.
[39] B. Amann, « La théorie des droits de propriété », dans De nouvelles théories pour gérer l’entreprise, Paris, Economica, 1999, p.13, spéc. p.50.

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