mercredi, février 28, 2007

Théories contractuelles de la firme : Théorie du noeud de contrats et théorie de l'agence

Théorie du nœud de contrats et théorie de l’agence

α - Exposé des théories : an aggregation of people

La théorie du noeud de contrat représente la firme comme un ensemble de contrats (nexus of contracts) fondé sur une relation d’agence avec le principal et l’agent. Comme le souligne Jensen et Meckling, ces deux théories sont liées puisque « the problem of agency costs and monitoring exists for all of these contracts »[18]. L’entreprise est perçue comme un habillage de contrats interindividuels[19] où le processus contractuel domine donc les affaires internes de l’entreprise, les contrats étant étendus au-delà de ceux liés à la fonction de la production (visant les contrats avec les employés) pour inclure l’ensemble des contrats établis entre l’entreprise et son environnement (clients, fournisseurs, créanciers, …) ainsi que la répartition des revenus générés par les biens ou les services produits[20]. Dans le cadre de cette théorie, la firme n’est ni une entité ni une chose capable d’être possédée. Elle est simplement une fiction légale qui comprend un jeu de relations contractuelles qui établissent des droits et des obligations[21]. Déjà exprimé par Alchian et Demsetz concernant la fonction de production[22], Jensen et Meckling vont au-delà de cette fonction : «Contractual relations are the essence of the firm, not only with employees but with suppliers, customers, creditors, etc. (…) the firm is simply one form of legal fiction which serves a nexus for contracting relationships »[23].

La notion de contrat s’entend différemment de son acception juridique et est définie comme tout procédé par lequel des droits de propriété sur des biens sont crées, modifiés ou transférés. Il s’agit d’une entente dont le contenu va être négocié par chacune des parties au contrat.

Cependant, en raison des divergences d’intérêts entre individus[24], les relations de coopération s’accompagnent de conflits inducteurs de coûts qui réduisent les gains potentiels issus de la coopération. Ces coûts sont nommés coûts d’agence. Une relation d’agence est définie comme un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) s’arrange(ent) avec une ou plusieurs autres (l’agent) afin de prester pour son compte une ou plusieurs activités[25]. Pour qu’il y ait des problèmes d’agence, deux conditions sont nécessaires. D’un côté, il faut accepter l’hypothèse d’un univers incertain et d’une information asymétrique. S’il n’y avait pas d’incertitude, les clauses contractuelles pourraient tout spécifier explicitement à supposer que l’établissement de contrats puisse se faire sans coût. Sans asymétrie informationnelle, une partie pourrait observer et vérifier que l’autre exécute correctement le contrat. Cette théorie est celle du nœud de contrats explicites dans laquelle les contrats sont censés être complets et où les shareholders sont les uniques créanciers résiduels. Aucun droit de contrôle n’est accordé aux autres parties, puisque tout est prévu dans les différents contrats. D’un autre côté, les agents sont censés maximiser leur propre fonction d’utilité et ils sont capables d’anticiper rationnellement l’incidence des coûts d’agence. Les agents concentrent leurs efforts sur trois coûts : les coûts de contrôle (coûts supportés par le principal pour s’assurer que l’agent agit dans le sens de ses intérêts), les coûts de dédouanement (coûts supportés par l’agent pour signaler au principal qu’il agit conformément à ses intérêts) et les coûts résiduels (coûts équivalant du coût d’opportunité). Les contrats étant incomplets par nature, le principal doit mobiliser des processus et instruments de contrôle qui permettent de vérifier le comportement de l’agent et de l’inciter à œuvrer dans le sens de ses intérêts et d’exercer ainsi une corporate governance appropriée.

β - Apports de la théorie du noeud de contrats et de la théorie de l’agence : La théorie du nexus of contracts a diverses conséquences. D’une part, elle enrichi la théorie néoclassique en mettant en relief l’élément par lequel les ressources sont unies pour la production. Ainsi, la firme est un ensemble de contrats explicites ou implicites entre les titulaires des ressources. D’autre part, elle amène à modifier la conception de l’entreprise. Au lieu d’y voir une entité indépendante ou une propriété des actionnaires, l’entreprise est perçue comme une somme d’individus unis dans un réseau de contrats. L’idée d’une recherche de la seule maximisation de la richesse des actionnaires comme objectif est remise en cause.

γ - Critiques de la théorie du noeud de contrats et de la théorie de l’agence : Ces théories sont contestées dans la littérature économique contemporaine sur divers points. Premièrement, certains auteurs avancent que la négociation des contrats, qui est à la base du nexus of contract, est difficilement praticable. Deux raisons sont invoquées : les barrières constituées par les coûts de transaction et l’existence de règles légales qui se substituent à la négociation privée. Deuxièmement, les règles du mandat pervertissent le système en excluant toute négociation[26] et en mettant à mal le postulant des néo-institutionnels que le défaut de règles est préférable aux dispositions régissant le mandat[27]. Troisièmement, en se fondant sur des rapports interindividuels, les théories du nœud de contrats et de l’agence sont limitées dans leur capacité à rendre compte des formes collectives complexes. Quatrièmement, l’idée de hiérarchie et de pouvoir entre individus est exclue des constructions néo-institutionnelles et les divergences et conflits d’intérêts ne sont gérés que par des accords librement conclus. Or, nombre d’auteurs proposent une prise en considération des notions de domination et de pouvoir[28]. Pour Coriat et Weinstein, « (…) les asymétries entre agents et entre groupes ne concernent pas que l’information, les oppositions d’intérêts ne se résolvent pas toujours par des poignées de main mais aussi parfois par des coups de poing (pour ne pas en dire plus !) »[29]. En dernier lieu, ces approches amènent à une complète dissolution de la notion de firme qui n’est qu’un type de mécanisme contractuel appartenant au marché[30].

[18] M. C. Jensen and W. H. Meckling, « Agency costs and the theory of the firm », Journal of Financial Economics, 1976, Vol. 3, p.305, spéc. p.310.
[19] Y. Pesqueux, « Organisations : Modèles et représentations », 1ère éd., 2002, P.U.F., spéc. p.118.
[20] E. F. Fama, « Agency problems and the Theory of the Firm », Journal of Political Economy, 1980, Vol. 88, p.288, spéc. p.290.
[21] M. C. Jensen and W. H. Meckling, « Rights and production functions : An application to labour, Management, firms and codetermination », Journal of Business, 1979, Vol. 52, n°4. Avant ces auteurs, Adam Smith (Adam Smith, tome 2, 1776, spéc. p.401) avait déjà reconnu l’existence de la particularité des relations entre dirigeants et employeurs dans les sociétés de capitaux.
[22] A. A. Alchian and H. Demsetz, « Production. Information Costs, and Economic Organization », Economic Review, 1972, Vol. 62, p.777. Pour ces auteurs, le contrôle au sein d’une firme ne diffère pas d’un marché de contrats entre deux personnes. « [The firm] has no power of fiat, no authority, no disciplinary action any different in the slightest degree from ordinary market contracting between any two people » (A. A. Alchian and H. Demsetz, art. préc., p.777). Ce qui distingue la firme du marché c’est qu’elle est au centre des les accords contractuels par lesquels les parties s’engagent dans la production commune : la firme est une « contractual structure » avec une union des inputs de production, UNE diversité des propriétaires des inputs, une partie (l’entrepreneur) se trouve au centre de tous les contrats d’union des inputs, cette partie a le droit de renégocier les contrats, cette partie est le créancier résiduel et a le droit de céder son statut de contractant résiduel (A. A. Alchian and H. Demsetz, art. préc., p.794). les fournisseurs de ressources sont intéressés à former des coalitions en raison des gains qui en résultant : en coopérant dans une entreprise, ils augmentent la productivité de leurs ressources, ce qui leur promet de meilleur rendement. Une des deux conditions à l’émergence d’une firme n’est-elle pas la possibilité d’augmenter la productivité par la « team-oriented production » (A. A. Alchian and H. Demsetz, art. préc., p.783) ? Ainsi, Alchian et Demsetz s’appuient sur le rôle des contrats comme véhicule pour les échanges volontaires. Cependant, en raison du risque d’opportunisme très fort du fait du simple jeu contractuel non centralisé et de séparer la contribution individuelle de chacun, un principe de contrôle doit être arrêté avec les principes suivants : 1) Etre un créancier résiduel 2) Observer le comportement des différents inputs 3) Etre au centre de tous les contrats avec inputs 4) Modifier les membres de l’équipe des inputs 5) Avoir la possibilité de vendre ses droits (A. A. Alchian and H. Demsetz, art. préc., p.783).
[23] M. C. Jensen and W. H. Meckling, « Agency costs and the theory of the firm », art. préc., p.310.
[24] Jensen et Meckling indiquent que l’entreprise est une fiction légale vue comme un process complexe caractérisé par « (…) [a] conflicting objectives of individuals (…) » (M. C. Jensen and W. H. Meckling, « Agency costs and the theory of the firm », art. préc., p.311).
[25] G. Charreaux, « La théorie positive de l’agence : positionnement et apports », décembre 1999, http://ungaro.u-bourgogne.fr/WP/0991201.pdf ; G. Charreaux, « La théorie positive de l’agence : lecture et relectures … », septembre 1998, http://ungaro.u-bourgogne.fr/WP/0980901.pdf.
[26] D. M. Branson, « The Death of Contractarianism and the Vindication of Structure and Authority in Corporate Governance and Corporate Law », in Progressive Corporate Law, Lawrence E. Mitchell, éd. 1995, p.93, spéc. p.94.
[27] Bainbridge propose d’atténuer cette remise en cause en mentionnant que les règles du mandate se justifient quand un défaut de règles crée des externalités négatives significatives ou quand une des parties ne peut se protéger par elle-même au travers de la négociation (S. M. Bainbridge, « Corporation Law and Economics », Foundation Press, New York, 2002, spéc. p.32).
[28] Par exemple : S. Bowles and H. Gintis, « The Revenge of Homo Economicus : Contested Exchange and the Reval of Political Economy », Journal of Economic Perspectives, 1993, Vol. 7, n°1 ; J. B. Rebitzer, « Radical Political Economy and the economy of Labor Markets », Jounal of Economic Literature, 1993, Vol. 21, Septembre.
[29] B. Coriat et O. Weinstein, op. cit., p.106.
[30] M. C. Jensen and W. H. Meckling, « Agency costs and the theory of the firm », art. préc., p.311. Pour Jensen et Meckling, cela n’a pas de sens de distinguer ce qui est dans la firme de ce qui en dehors.

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