jeudi, juillet 25, 2013

Le retour des Zombies?: Les limites du Majority Voting

Le retour des Zombies? Non, pas ceux-ci. Plutôt les Zombie Directors...

Au cours des dernières années, le Majority Voting a  progressivement fait son chemin aux États-Unis et, plus récemment, au Canada comme mécanisme destiné à améliorer la "démocratie corporative". Spécifiquement, en donnant un sens aux abstentions, le Majority Voting vise à pallier les lacunes du système de scrutin uninominal majoritaire (Plurality voting) prévalant actuellement dans bon nombre de juridictions nord-américaines selon lequel les administrateurs sont élus à la majorité simple, les abstentions n'étant pas considérés comme des votes "contre". Généralement mis en oeuvre dans un règlement intérieur, le Majority Voting "transforme" les abstentions en votes "contre". Ainsi, le candidat qui reçoit plus d'abstentions que de votes "pour" est légalement élu, mais est tenu de remettre sa démission au conseil d'administration dans un court délai suivant l'élection. Le conseil d'administration dispose alors de la discrétion d'accepter ou de refuser la démission. 

Le Majority Voting est devenu une pratique à ce point reconnue que la Bourse de Toronto a modifié son Manuel des sociétés inscrites pour en tenir compte. Les sociétés inscrites doivent adopter un tel mécanisme ou à défaut expliquer les raisons pour lesquelles elles s'abstiennent de le faire.  En outre, les sociétés inscrites qui ne disposent pas d'un tel mécanisme doivent aviser la Bourse lorsqu'un administrateur est élu tout en recevant davantage d'abstentions que de votes en faveur. 

Depuis environ un an, l'efficacité du Majority Voting est toutefois mise à l'épreuve par le phénomène des Zombie Directors. L'expression a d'abord été employée pour désigner tout administrateur récoltant davantage d'abstentions que de votes en faveur. Par exemple, Nell Minow remarquait dans un texte (ici):
Dozens of directors continue to serve, like boardroom zombies, even after a majority of the shareholders voted against them. In the past three years, about 200 directors failed to receive majority votes. Almost all of them continued as board members.
Plus récemment, l'expression a servi à qualifier les administrateurs qui demeurent en place malgré l'existence d'un mécanisme de Majority Voting, soit parce que leur démission est refusée par le conseil, soit parce qu'elle est acceptée et que le conseil comble la vacance en désignant... le même administrateur. En avril dernier, le Financial Times faisait état de la volonté de CalPERS de s'attaquer aux Zombie Directors (ici):
The $255bn California Public Employees’ Retirement System has identified 52 directors who have failed to win shareholder votes but either stayed in place or subsequently been reinstated. 
Ce n'était donc qu'une question de temps avant que le phénomène des Zombie Directors fasse aussi l'objet de critiques au Canada. Ce matin, dans une chronique intitulée Corporate governance: The curse of zombies in the boardroom, on fait état du problème au Canada en donnant l'exemple de la société Banro. Comment régler ce problème? À court terme, la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance propose déjà un modèle de politique de majority voting qui limite la discrétion du conseil d'administration lors du traitement de la démission d'un administrateur:
The CCGG, aware of the perils of letting boards accept or reject the resignations, says in its model majority-voting policy that the board should reject the resignation only under “extraordinary circumstances. 
À plus long terme, il est temps que les législateurs et les régulateurs se concertent pour revoir les modalités de l'élection des administrateurs et le fonctionnement du système des procurations. Tout en étant favorable à un système de gouvernance flexible laissant une place aux mécanismes du marché, force est de reconnaître un rôle pour l'encadrement légal pour établir un certains nombre de principes et de règles du jeu de base. Comme le met en relief l'expérience du Majority Voting, la flexibilité et l'expérimentation sont intéressantes, mais elles comportent leurs limites. 



Pr Stéphane Rousseau, Professeur titulaire de la Chaire en gouvernance et droit des affaires, Université de Montréal

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