jeudi, août 17, 2006

Antidater des options d'achat d'actions: un scandale purement américain?

Depuis sa mise au jour par des universitaires américains, la pratique d'antidater ou de modifier autrement la date d'octroi des options d'achat d'actions des dirigeants et employés des sociétés soulève de plus en plus la controverse aux États-Unis. Pour certains, comme Gretchen Morgenson et Harvey Pitt il s'agit d'un nouveau scandale financier. Pour d'autres comme les professeurs Larry Ribstein et Geoff Manne, c'est plutôt beaucoup de bruit pour rien. Cependant, lorsque l'on examine la liste des sociétés visées, les poursuites potentielles et réelles, de même que les révisions d'états financiers, il est difficile de nier l'impact préjudiciable de cette pratique sur les marchés. Le récent article du 20 juillet dernier de The Economist, Dates from Hell, est éloquent à cet égard.

Rappelons que cette pratique connaît plusieurs variantes. La pratique classique consiste en le fait pour le conseil d'administration d'octroyer les options et de fixer leur prix d'exercice au regard du cours antérieur des actions. Avec la connaissance du cours des actions, le conseil choisit une date antérieure (fictive) pour l'octroi des options et la détermination de leur prix d'exercice qui correspond à un moment où le cours était déprimé. Cette date fictive est présentée comme étant la date officielle d'octroi des options. Au moment où les options sont réellement octroyées, le cours des actions excèdent déjà le prix d'exercice des options, ce qui assure immédiatement un gain sur papier pour les bénéficiaires. L'émission des options est toutefois traitée officiellement comme ayant été faite à la date antérieure, i.e. à un moment où le prix d'exercice correspond au cours déprimé des actions. En somme, il y a une manipulation de la date d'octroi des options pour conférer un gain aux bénéficiaires de celles-ci. D'autres pratiques permettent aussi d'atteindre un résultat analogue. Citons le "springloading" qui consiste à émettre les options et fixer leur prix d'exercice avant l'annonce d'une bonne nouvelle dont l'existence est connue de la direction, ainsi que le "bullet dodging" où inversement le conseil d'administration attend l'annonce d'une mauvaise nouvelle qui déprimera le cours des actions avant d'octroyer les options, de manière à ce que leur prix d'exercice tienne compte de l'effet de la mauvaise nouvelle.

Ces pratiques sont potentiellement problématiques à plusieurs égards. À tout le moins, elles peuvent avoir mener à une divulgation inexacte du coût des options octroyées. Plus fondamentalement, il me semble, dans la mesure où elles sont volontaires, elles soulèvent des questions sérieuses relativement à l'intégrité des administrateurs qui s'y livrent dans le but de gonfler artificiellement la rémunération des bénéficiaires. En effet, si les administrateurs souhaitent donner un certain niveau de rémunération aux dirigeants et employés importants, ils disposent d'une vaste discrétion pour ce faire, à condition de suivre un processus décisionnel raisonnable. À partir du moment où ils utilisent des artifices pour établir la rémunération des dirigeants, cela rend cependant perplexe. Pourquoi ne pas divulguer ouvertement ce que l'on fait? C'est là que la bât blesse. L'opacité de l'opération la rend nécessairement suspecte.

Malgré son importance, la pratique - et le scandale - ne semblent pas avoir fait leur chemin au Canada jusqu'à présent. Si on commence à s'y intéresser dans les médias (voir le reportage de L'heure des comptes), je n'ai pas connaissance de l'existence d'allégations similaires à celles que l'on retrouve aux États-Unis. Corrigez-moi si je me trompe. Sommes-nous plus vertueux? Est-ce simplement le reflet d'un marché des dirigeants différents au Canada? Il semble que l'arrêt Pezim rendu en 1994 par la Cour suprême du Canada indique que ce n'est sûrement pas le cas. De fait, le Canada était en fait peut être un précurseur (malheureux) en la matière.

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