mercredi, juin 23, 2010

Marée noire pour les firmes multinationales

Le Monde.fr, 21 juin 2010 - Merci au professeur Pierre-Yves Gomez pour cet article de grande qualité (comme à son habitude d'ailleurs) publié dans le quotidien Le Monde.
Si l'explosion de la plate-forme Deepwater Horizon, au large des côtes de la Louisiane, est à l'origine d'un désastre écologique et économique sans précédent, elle met aussi en évidence les étonnantes carences politiques de la gouvernance des très grandes entreprises comme BP.
Héritière des sociétés américaines Arco et Amoco et de l'Anglo-Iranian Oil Company fondée en 1908, l'histoire de British Petroleum, devenue BP, se confond avec celle de la montée en puissance du pétrole comme source d'énergie vitale pour nos économies. En 2007, son chiffre d'affaires était de 220 milliards d'euros, soit l'équivalent du PIB de la Pologne, 24e puissance mondiale.
La Louisiane, qui est le 24e Etat américain en termes de richesse, a un budget deux fois inférieur, soit 130 milliards d'euros, dont le quart est dû aux subventions versées par BP. Elle exploite 7 % du pétrole mondial et 40 % des réserves américaines dans le golfe mexicain et en Alaska. Le travail de ses 80 000 salariés a produit un bénéfice de 16 milliards d'euros en 2007.
On voit ce que signifie concrètement la puissance d'une très grande compagnie mondiale: un budget qui dépasse largement celui de la plupart des Etats, le contrôle des capacités de production indispensables à la survie économique de nos sociétés, et des profits qui les mettent en situation de force pour assurer les investissements.
BP est une société anglaise et américaine, cotée à Londres mais dont 41 % du capital appartient à des Britanniques et 39 % à des Américains. Son capital est dilué dans le public et réparti entre plus d'un million d'actionnaires, dont 21 % sont des petits porteurs et 79 % des fonds de pension ou d'investissement. Son action est considérée comme un titre de "père de famille", et elle entre dans le portefeuille de placement de la plupart des petits épargnants anglo-saxons et des investisseurs institutionnels, en particulier des caisses de retraite. BP gère en outre le fonds de pension de ses salariés, dont une partie du portefeuille est constituée de ses propres actions.
Effet collatéral important, l'évolution de son titre et de ses bénéfices affecte donc les placements de milliers de ménages. C'est une seconde conséquence de la puissance des très grandes entreprises mondiales : elles sont devenues incontournables pour assurer la rémunération de l'épargne des ménages... et les pensions.
Compte tenu de cette puissance et de cette responsabilité, comment ce géant mondial est-il gouverné ? Ni les salariés, ni les retraités, ni les clients ne sont représentés à son conseil d'administration. On n'y trouve aucun administrateur chargé de défendre les intérêts des Etats dans lesquels BP opère, ni de spécialistes de l'environnement malgré les risques écologiques que fait peser l'exploitation du pétrole. Sur les treize administrateurs, cinq sont des dirigeants de BP, les autres sont des managers extérieurs dont deux viennent du secteur pétrolier, deux de l'industrie, un d'un grand cabinet de consulting et trois de la finance.
BP est donc gouvernée par une poignée de spécialistes du management. Tout se passe comme si les décisions prises en conseil d'administration étaient purement gestionnaires et que l'organisation de sa gouvernance pouvait rester étanche aux intérêts politiques de ses nombreuses parties prenantes. Les millions de barils de pétrole qui se déversent sur les côtes américaines et les milliards d'euros qui seront dépensés pour réparer les dégâts montrent que cette étanchéité était une fiction.

A la prochaine ...

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